Christian, un trentenaire plutôt introverti débarque dans un hard-discount alimentaire planté au beau milieu d’une zone artisanale, pour y exercer le métier d’assistant manutentionnaire. C’est au rythme de la mélodie du Beau Danube bleu de Richard Strauss que Christian, au volant de son chariot élévateur, file et virevolte dans les allées. La première distorsion qui s’établit entre le son et l’image, entre ces deux univers que sont les palais d’antan et les supermarchés, donne le ton. Le réalisateur, qui utilise le décalage comme arme principale, ne cessera pas de travailler cet écart entre un lieu prosaïque et humble et la grandeur de ce qui s’y joue.

Décalage entre le caractère sinistre d’un lieu suprême de l’exploitation de l’homme par une instance financière aussi tyrannique qu’invisible, et ce que peut devenir ce même lieu, un endroit où on fête Noël, où on tombe amoureux, où on souffle les bougies d’anniversaire, où on fume en cachette et où hélas, on peut mourir aussi. Le réalisateur réussit à  » faire du beau  » au coeur des étalages de surgelés et des étagères de métal, et à faire de cet espace un théâtre des sentiments où se joue toute la complexité des rapports humains.

Une valse dans les allées est aussi une réflexion sur les dévastations causées chez l’homme par un travail sans âme, et une réflexion historico-politique sur les méfaits de la réunification des deux Allemagnes suivie du passage généralisé à une économie de marché. Délicatesse et pudeur sont sans doute les qualités principales de ce film qui met en scène et en lumière des êtres simples. Le duo formé par Sandra Hüller et Franz Rogowski semble réinventer celui formé par Chaplin et Paulette Godard pour Les temps modernes, dans une version plus désen- chantée mais tout aussi poétique.

Sources : Telerama 09/2018. Avoir,alire.fr. Sens critique.fr.

Rike, 40 ans, est médecin urgentiste. Pour ses vacances, elle a planifié un voyage en solitaire : rejoindre l’île de l’Ascension de- puis Gibraltar, une île au nord de Sainte-Hélène, où Darwin avait planté une forêt entière. Seule au milieu de l’Atlantique, après quelques jours de traversée , elle est confrontée à une tempête violente qui frappe son voilier et l’amène à buter sur un cargo rempli de réfugiés. Le lendemain matin, l’océan change de visage et transforme son périple en un défi sans précédent.

Présenté au dernier festival de Berlin, Styx est un film à la frontière du documentaire. Wolfgang Fischer utilise l’allégorie pour décrire la scission entre deux mondes : les migrants et l’Occident dans un récit qui remet en cause les agissements humains. Le film pose une question simple : celle de l’action ou de l’inaction face à des êtres en danger. Toutes les certitudes de Rike s’effritent devant ce dilemme. Wolfgang Fischer redéfinit avec réalisme la cruauté de notre monde et le spectateur reçoit les images comme un uppercut symbolisant l’urgence de la situation actuelle.

Suzanne Wolff délivre une performance aboutie, une démonstration d’intériorité. Le spectateur est témoin de scènes poignantes dans un film qui s’articule comme un cri de détresse. L’Atlantique n’a plus rien d’apaisant. On est tout de suite happé par cette aventure très brute, presque dénuée de dialogues et filmée au plus près de sa protagoniste. Suzanne Wolff capte à elle seule notre attention grâce à la force de son personnage et à son jeu particulièrement juste.

Intelligemment construite et engagée, cette oeuvre émouvante marquera sans doute plus d’un esprit.