Après Synonymes (Ours d’or à Berlin,2019), Nadav Lapid continue de réécrire, à sa manière, L’Homme révolté de Camus, avec Le Genou d’Ahed, brûlot politique d’une rare intensité et sans concession, ni pour lui ni pour son pays qu’il regarde en face comme une simple nation, évitant soigneusement toute référence à l’identité, l’idéologie ou la religion, sujets toujours propices à alimenter la culture de la peur collective.
Le synopsis est juste l’histoire du réalisateur : Y, cinéaste reconnu , est invité à présenter un de ses films dans un village perdu du sud, il est accueilli par une jeune fonctionnaire responsable des bibliothèques du pays…Mais la sympathie mutuelle immédiate entre les deux êtres, nourrie des mêmes rêves, ne va pas résister longtemps aux diktats culturels du pouvoir politique, venus s’imposer jusqu’en plein désert, en raison d’un formulaire limitant le champ de ses propos. Et ce désert ne saura pas dire à Y comment canaliser sa révolte, comment vivre une liberté confisquée, il saura juste le conduire jusqu’à presque se désincarner, jusqu’aux portes des combats perdus. Parce qu’il y a aussi le passé militaire du cinéaste, la mort programmée de sa mère, parce que la révolte est aussi contre lui-même…
Nadav Lapid n’oublie pas de filmer Yahalom, la fonctionnaire soumise à sa hiérarchie, et d’entendre ses silences, une façon de nous montrer toute  l’ambiguïté qui peut habiter chacun quand le champ des libertés se rétrécit, une façon de nous dire qu’elle aussi est peut-être révoltée.
Et Le Genou d’Ahed, alors ? C’est le scénario du prochain film d’Y, l’ histoire vraie d’une jeune Palestinienne de 16 ans emprisonnée pour avoir giflé un soldat israélien, et pour qui un député de la Knesset réclamait qu’on lui tire une balle dans le genou, pour qu’elle soit handicapée à vie…
Révoltant, non ?

Sources : le bleu du miroir, Politis, Avoir à lire