Comme nombre d’Athéniens, Aris, un grand gaillard énigmatique, est frappé d’amnésie. Cette pandémie discrète, mais terriblement handicapante, affecte les citoyens de tous âges et de toutes conditions. Ils oublient leur propre identité ainsi que leur passé proche ou lointain. Des médecins décident alors de lancer un vaste programme thérapeutique qui consiste à reprogrammer le disque dur des patients par une prescription de tâches quotidiennes à effectuer et ensuite à figer ce nouveau vécu à l’aide d’un polaroïd.

Christos Nikou a été l’assistant de Yorgos Lanthimos. sur Canine. Apples commence dans un monde où un niveau virus a fait son apparition. Un point de départ dramatique que le film transforme, au fil des scènes, en éléments absurdes voire comiques. A cela s’ajoute un environnement kitsch, où les appareils analogiques dominent (magnétophone, polaroïd). Les décors et les costumes participent à ce décalage dans le temps tandis que le personnage principal, lui, semble sorti d’un film de Tati.

Très écrit et constamment surprenant, le scénario d’Apples fait partie du plaisir que l’on prend à suivre ce film qui conserve une part de mystère et permet toutes sortes d’interprétations selon la sensibilité et l’intelligence du spectateur. Par exemple, le fait que le héros du long métrage aime tellement les pommes, au point de lui donner son titre, est un clin d’œil assez subtil à une grande marque qui conditionne désormais nos vies. Et Apples délivre, sans en avoir l’air et sans lourdeur, un certain nombre de messages concernant le monde moderne et nos vies inféodées au numérique et aux réseaux sociaux. Mais Nikou est beaucoup moins cruel et sarcastique que Lanthimos, sa méthode étant plutôt celle de la douceur, de l’ironie et de l’incongruité. Sans oublier une poésie un brin surannée qui fait tout le charme croquant d’Apples.

Avec sa mise en scène minimaliste et son merveilleux acteur (Aris Servetalis, sorte de Buster Keaton grec), ce premier long métrage pointe de manière étonnante le refus du deuil et le choix de l’oubli. On prendra plaisir à se laisser entraîner dans cette dystopie vintage, fort élégante, métaphorique sans être didactique dans laquelle la fantaisie est constante, douce et piquante.

Sources : Positif n°734 / Télérama 16 avril 2022/ senscritique.com