À 84 ans, Jerzy Skolimowski continue de surprendre et d’émouvoir en retrouvant les expérimentations visuelles de sesdébuts. Dans EO, il filme la cruelle odyssée d’un âne, trimbalé de sa terre natale, la Silésie, jusqu’en Italie du Nord. En suivant les déambulations de cet âne intrépide, le réalisateur fait le pari fou d’écarter l’homme et d’inventer à travers les yeux d’un âne une fable riche de mille interprétations, séquencée en de multiples tableaux à la puissance esthétique inouïe. Skolimowski alterne visions dantesques, expérimentations plastiques, parenthèse méditative dans ce plaidoyer où l’amour des bêtes n’a d’égal que la lassitude du genre humain.
Le film peut dérouter par plusieurs aspects. Il n’en est que plus fort et plus intéressant. Très peu d’humains dans le film où l’on préfère se questionner sur les états d’âme de l’âne : Rouge colère ? Rouge passion ? Rouge sang ?
La mise en scène jubilatoire et complètement libre du metteur en scène fait forcément réfléchir, et son film grinçant, avec peu de dialogues et beaucoup de musique, remet l’homme et la nature à leur juste place.
En misant sur le point de vue d’un animal mélancolique, le réalisateur brosse le portrait contemporain d’une nation à la fois sauvage, vivante et sans concession.
EO est un conte noir affranchi des codes de la perception ordinaire, un véritable opéra visuel à la gloire d’un monde animal que l’avidité humaine ne cesse de bafouer. Skolimowski donne une vraie noblesse à l’innocence de son âne et nous surprend en filmant dans ses yeux, dans ses oreilles, dans ses postures une palette insoupçonnée d’expressivité. Un voyage éprouvant mais d’une vive liberté créatrice.
Il aura fallu un âne, un simple âne pour régénérer notre regard. C’est parfaitement novateur, souvent perturbant, profondément bouleversant, en un mot exaltant.

Sources : dossier de presse – Utopia Toulouse, octobre