C’était un petit entrefilet, l’une de ces nouvelles, vite lues, vite oubliées : une femme avait fait passer l’enfant de sa meilleure amie pour le sien. Le Ravissement, premier long métrage d’Iris Kaltenbäck, est né de ces quelques lignes, un fait divers mis en scène sans s’encombrer des attributs habituels du genre, mais centré sur un portrait de femme. Le Ravissement, titre séduisant ouvert au double sens, le ravissement comme extase ou comme rapt ? La réalisatrice ne cache pas s’être inspirée du Ravissement de Lol V. Stein de Marguerite Duras, dont on retrouve plusieurs thèmes, tels l’obsession et le déni de chagrin.
Tout commence par une rupture. Lydia, trahie et quittée par son compagnon, voit son monde s’effondrer. Il lui reste son métier de sage-femme auquel elle consacre toute son énergie. Elle jongle avec les horaires, erre dans Paris parmi les foules anonymes qui, comme elle, mènent une existence de nuit. Les brasseries sont remplies d’esseulés, elle y rencontre Milo, un chauffeur de bus insomniaque. Une rencontre sans lendemain qui renforce son amertume…
Heureusement il y a Salomé, son amie de toujours, qui lui annonce l’arrivée d’un heureux événement. Avec l’aide de Lydia, elle donne naissance à son premier enfant, une petite fille prénommée Esmée, que Lydia garde bien volontiers lorsque sa maman est fatiguée. Le ravissement a déjà commencé… Bientôt le destin remet Milo dans sa vie et doucement, mécaniquement, Lydia met en place une supercherie dont elle va vite devenir elle-même victime.
Le Ravissement, d’un enchantement formel constant, sobre et sans dramatisation, est traversé par de passionnants questionnements sur la maternité, l’amitié et ce qui fait lien.
C’est l’histoire d’une ultramoderne solitude que seul un mensonge va parvenir à combler, d’une maternité factice, dévoyée et pourtant bouleversante. Film d’apparence simple,
Le Ravissement recèle bien des mystères qui invitent à des interprétations diverses, mythologiques ou psychanalytiques, sur le refoulement et le désir inconscient. Hafsia Hersi en madone à la fois douce et inquiétante, héroïne durassienne qui transforme sa vie en fiction pour mieux supporter le réel, y est poignante de sobriété et de tumulte intériorisé.

Sources : Télérama, Libération, Le Monde 11 octobre 2023, Les inrockuptibles n°24