Il en est des nations comme des enfants, la souffrance de l’accouchement n’est jamais la seule, d’autres suivent, d’autant plus cruelles qu’elles sont masquées. Pour son premier long métrage, Felipe Galvez nous en fait la démonstration en ressortant de l’oubli collectif une sombre page de l’histoire du Chili, le massacre organisé des indigènes mapuches en Terre de feu au début du XXe siècle.
La première partie du film emprunte la grammaire du western spaghetti, où la violence humaine des gros plans contraste avec les superbes vues des grandes étendues désertiques : road movie de deux mercenaires sanguinaires engagés par un riche propriétaire terrien pour « nettoyer » la région des indigènes incompatibles avec la prolifération de ses troupeaux. Ils sont accompagnés par le jeune métis Segundo, dont la présence inquiète traduit toutes les questions posées par le réalisateur sans y répondre, tiraillé entre ses origines indigènes et l’obéissance nécessaire à sa survie. Coups d’éclats et causeries de bivouac se complètent habilement comme les paragraphes d’une leçon d’histoire sans concession.
La deuxième partie, située 7 ans plus tard, retrouve les personnages (ceux qui ne sont pas morts…) dans leur intimité, avec un éclairage différent et plus pacifiste, mais le réalisateur montre comment l’enquête diligentée par l’état pour tenter d’effacer cette sinistre période et redorer son blason n’était qu’une manœuvre de diversion pour ne rien réparer et surtout ne rien changer.
Sous son aspect de western austral, le film cherche à remettre l’histoire à l’endroit et à susciter un débat sur le passé, c’est l’ambition non dissimulée de Felipe Galvez qui s’est appuyé sur de nombreuses archives pour rendre sa fiction proche du documentaire. La violence n’est jamais cachée car, comme il le dit, elle était le moteur essentiel dans la dimension cannibale de la colonisation.
Un film courageux aux indéniables qualités artistiques, sélectionné pour représenter le Chili aux Oscars. Aujourd’hui encore, les minorités indigènes n’ont toujours pas la nationalité chilienne…

Sources : dossier de presse – avoir-alire.com, 20 déc 2023 – rfi, 19 déc 2023