ASSOCIATION CHALONNAISE POUR LE CINEMA

Willy 1er

jeudi 26 janvier 2017

19:30

Invité / Débat

En présence de la réalisatrice Marielle Gautier

Résumé : À la mort de son frère jumeau, Willy, cinquante ans, quitte pour la première fois ses parents pour s’installer dans la bourgade voisine. Confronté à une solitude impitoyable, Willy, personnage inclassable, tente de trouver sa place dans un monde qu’il ne connaît pas. En mêlant le burlesque et le drame, en mélangeant les références visuelles et musicales, les quatre réalisateurs parviennent à filmer au plus près l’épopée de ce héros au corps imposant. Toujours sur le fil du rasoir, ils réinventent une esthétique du drame social pleine de poésie.

Pays : France

Année : 2016

Durée : 1h22

Date de sortie en France : 19 octobre 2016

Réalisateur : Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma

Scénario : Ludovic Boukherma, Zoran Boukherma

Avec : Daniel Vannet, Romain Léger, Noémie Lvovsky …

Prix / distinctions : Prix d’Ornano-Valenti, Deauville 2016. Grand prix, Trouville 2016 Amphore d’or et amphore du Peuple, festival du film grolandais, Toulouse 2016


Fiche
bobine

« À Caudebec, j’irai, avoir un appartement j’en aurai un, un scooter j’en aurai un, des copains j’en aurai… Et je vous emmerde ! » C’est ainsi que Willy, la cinquantaine bedonnante, mais 12 ans d’âge mental, claque la porte de chez ses parents agriculteurs, où il a vécu toute sa vie en compagnie de son frère jumeau, dont la récente disparition agit comme un électrochoc. À l’aide de sa tutrice incarnée par Noémie Lvovsky, ce paumé marginal va remuer ciel et terre pour parvenir à reprendre sa vie en main et atteindre les humbles objectifs qu’il s’est fixés.

Révélé par la sélection Acid lors du dernier Festival de Cannes, ce premier film de quatre jeunes réalisateurs repose principalement sur Willy, individu inclassable, tour à tour victime émouvante, Pierrot lunaire attachant ou capable de bouffées de colère et d’amertume inquiétantes. Certes, il s’agit d’un personnage inventé mais celui-ci est très inspiré de la personnalité de Daniel Vannet que ce dernier incarne avec une force brute souvent renversante, et un naturel qui emporte l’adhésion. Ses aventures, ses ambitions et ses déceptions forment un récit initiatique rythmé qui maintient une tension permanente et très éprouvante entre des scènes comiques, des envolées poétiques et des épisodes d’une grande noirceur.

Ce long métrage marche sur un fil fragile, chancelle parfois et se trouve au bord du précipice de temps à autre. Les premières scènes, notamment, peuvent laisser craindre une certaine tendance au misérabilisme ou au naturalisme. Mais les doutes sont rapidement levés car le regard porté sur Willy ne sert que deux objectifs : lui permettre de se voir, lui-même, comme le roi qu’il a toujours été et montrer le désir de normalité d’un marginal.

Aucun manichéisme (Willy peut parfois être cruel), aucune condescendance (certains plans esthétisants lui donnent toute sa noblesse), aucun « mépris de classe » n’apparaissent dans ce film dont le moteur est incontestablement l’amour pour un comédien, l’amour de la marginalité, de l’originalité, de la différence.

On rit beaucoup dans Willy 1er, on est souvent émus, on est aussi parfois mal à l’aise, mais on est surtout enthousiasmés devant l’impertinence, l’impétuosité et la réussite de ces jeunes cinéastes.

Sources : Télérama, Les Inrocks 19 octobre 2016, senscritique.fr

Regarder la
bande-annonce

Soirée spéciale
Invité – Débat

Notre invitée : la réalisatrice Marielle Gautier.

Les réalisateurs : Ludovic et Zoran Boukherma (nés en 1992) , Marielle Gautier (née en 1987), Hugo P. Thomas (né en 1989). Ces quatre jeunes réalisateurs se retrouvent, en 2012, dans la première promotion de l’école de la cité de Luc Besson.

Ils sympathisent rapidement et en 2014, ils réalisent leur premier court métrage Perrault, La Fontaine, mon cul ! sur un père qui veut apprendre à lire pour obtenir la garde de son fils. Le film est sélectionné au festival de Clermont-Ferrand et Daniel Vannet obtient le prix d’interprétation masculine.

En 2015, leur deuxième court métrage Ich bin eine tata, sur un professeur d’école qui mène, la nuit, une double vie, est de nouveau sélectionné à Clermont-Ferrand.

En septembre 2015, ils participent au « 48 heures Film Festival », un festival de courts métrages dont les critères sont très contraignants car il s’agit de créer et de réaliser entièrement un court en 48 heures. Comme ils n’avaient pas les moyens de réunir une équipe, ils décident de s’associer sur toutes les phases de la réalisation. L’opération est une réussite. Ils partent alors en Normandie pour écrire Willy 1er.

Daniel Vannet, notre héros de cinéma, par Ludovic et Zoran Boukherma.

Rencontrer Daniel Vannet, c’est rencontrer un homme tout sauf ordinaire. Il traîne la jambe, sa gueule est cassée, il parle avec un accent chtimi à couper au couteau. Une seconde, il est joyeux et d’une désarmante spontanéité, puis il est triste et réservé la seconde d’après. On est très intimidé la première fois qu’on le rencontre. Cette présence, ce charisme singulier d’acteur qui s’ignore nous intéressait avant tout.

Au-delà de l’acteur, il y a son parcours. Aujourd’hui, Daniel mène une vie tout ce qu’il y a de plus ordinaire et modeste à Aulnoye-Aymeries, une commune du Nord à côté de Maubeuge : à 54 ans, il vit seul dans un petit meublé au rez-de-chaussée, il roule sur un scooter 50 cm3. Ce n’est pas une vie de château, ce n’est pas à proprement parler une vie de rêve. Et pourtant, cette vie, il s’est battu pour l’obtenir avec une détermination et un courage habituellement réservés aux grands accomplissements. Seul, contre autrui, avec son naturel et ses stigmates.

Cette vie, c’était devenu son rêve et il y est arrivé. Au cinéma, classiquement, les héros sont des femmes et des hommes ordinaires qui accomplissent des choses extraordinaires pour devenir des surfemmes et des surhommes qui n’existent d’ailleurs que dans la fiction. Avec Daniel, on a voulu décaler ce principe, le translater un cran en dessous sur l’échelle de l’extraordinaire. On voulait raconter l’histoire d’un homme en apparence anormal qui accomplit des choses tout à fait normales mais extraordinaires pour lui dans le but de devenir un homme ordinaire. La distance entre le point de départ et le point d’arrivée est la même à nos yeux, ce n’est qu’une question de repères. Et être normal, ordinaire, ça peut être très beau.

Enfin, il y a dans le parcours de Daniel une certaine résonnance avec nous. A presque 50 ans, Daniel vivait toujours chez ses parents, et ce n’est qu’après plusieurs drames familiaux et un énième rappel à l’ordre médical, qu’il a décidé de tout envoyer valser. En fait, il fait à 50 ans ce qu’on fait tous généralement entre 15 et 20 ans ; il s’est rebellé. Pour la première fois, il a dit non, il a dit merde, il a fait ses propres choix. Il s’est construit. En plus d’être une profonde source d’inspiration et un mélange de drame et de comédie dont on raffole au cinéma, le parcours de Daniel était pour nous une réjouissante promesse de revanche, de pied de nez au déterminisme.

Daniel Vannet par Carole Weidich, co-fondatrice, directrice de l’Association Mots et Merveilles

Daniel a 45 ans quand il décide de reprendre sa vie en main et de lire le monde qui l’entoure. Jusque là, il vivait dans un monde obscur, loin de nous, avec ses frères, et son patron : celui à qui Daniel ne refusait rien, celui en qui il avait toute confiance, chez qui il travaillait 35h/semaine, le soir après la fermeture, le weekend à son domicile, et qui abusa pendant 20 ans de sa faiblesse en le rémunérant à mi-temps… Mais un jour Daniel découvre l’arnaque aux Assedics : il a la rage. La rage de s’en sortir ! S‘il avait su lire son contrat de travail, il aurait pu éviter tout cela.

Daniel est illettré. Il a été scolarisé en milieu ordinaire jusqu’au CM2, puis a été orienté dans un IME. Il aimait pourtant aller à l’école, s’y amuser et balayer la cour quand il perturbait la classe…

Il le regrette et veut réapprendre. Il rêve d’y arriver, il rêve de pouvoir lire, d’obtenir son appartement, un travail et un scooter. Il rêve de renaître… Il pousse, un jour, la porte de l’association Mots et Merveilles. L’équipe le rassure, lui redonne confiance. Il réapprend, compte, déchiffre, écrit, fait de l’informatique et se met au théâtre.

Il se produit en public avec Ces mots qui sortent de l’ombre, pièce écrite par Christophe Piret, Ce n’est pas facile, il ne lâche rien, il y arrive. Touchés par son histoire, des journalistes de France 2 réalisent un reportage sur lui, pour le Journal de 13h.

Au printemps 2014, quatre réalisateurs, Ludovic et Zoran, Marielle et Hugo, le repèrent. Ils sont séduits par sa bonhomie, sa sincérité et sa légèreté. Daniel emporte le 1er prix d’interprétation masculine au Festival de Clermont Ferrand, pour leur court métrage Perraut La Fontaine Mon Cul !. De là, tout s’enchaîne : ils tournent avec lui Ich bin ein tata et lui confient le rôle principal de leur premier long métrage, au côté de Noémie Lvovsky.

Le point de vue de Idir Serghine, cinéaste

«Willy 1er, c’est l’histoire d’un monde où la cruauté des hommes semble avoir gagné la partie. Un monde où la vie suivrait inexorablement son sillon avec pour seul horizon la misère. Mais en réalité Willy 1er est l’histoire d’un roi solitaire, d’un homme qui s’oppose avec toute l’énergie de ses rêves à ce chemin tracé dont il refuse la triste vacuité. Face au poids du deuil, face au handicap qui suscite rejet et moquerie, Willy brandit inlassablement la force de ses désirs, envoyant balader tout ce qui se dresse sur son chemin.

Car, comme Willy, nous désirons, nous aimons et souffrons. Comme lui, nous devons dépasser l’abîme que représente la perte d’un proche, comme lui nous cherchons la force d’une amitié bienveillante. Retravaillant la trajectoire de nos vies rêvées face à la dure réalité, Willy 1er s’offre à nous comme un film généreux, touchant autant à l’intime qu’à ce que partage toute communauté humaine. »

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