En 2011 avec Winter’s Bone, Debra Granik faisait le portrait d’une adolescente, fille d’un père délinquant en fuite, qui se battait seule au cœur des forêts du Missouri pour garder sa maison et ses petits frères. En 2018, adapté d’un roman, L’Abandon de Peter Rock, lui-même inspiré d’une histoire vraie qui bouleversa l’Oregon, Leave no trace fait aussi le portrait d’une adolescente et de son père en marge de la société.

Aux abords de Portland, Oregon, dans une luxuriante forêt primaire sur la côte pacifique, Tom et Will vivent dans une quasi clandestinité, et en presque totale autonomie, le but étant de se rendre le moins possible au centre ville de Portland, juste pour récupérer la pension de Will. Car on comprend vite que Will est un vétéran des nombreuses guerres moyen-orientales que l’Amérique a menées jusqu’à l’absurde. Mais il ne s’agit en aucun cas pour eux de vivre en reclus : au-delà de la survie au jour le jour, Tom bénéficie d’une excellente éducation et entre père et fille, il existe une vraie complicité et une profonde tendresse. Tout pourrait continuer ainsi, sans l’intervention de la police et des services sociaux, offrant l’école à Tom et un travail à Will. Pour l’adolescente, c’est le début d’une nouvelle vie, mais pour son père c’est le début d’une oppression quotidienne….

Leave no trace offre des images magnifiques de forêts qui semblent adopter la couleur des sentiments de l’héroïne, promettant tantôt une vie paisible, tantôt une mort lente. Le titre évoque aussi la démarche farouche de fuir la société de consommation, que l’on soit poussé par les aléas de la vie, ou porté par une réflexion philosophique. La réalisatrice filme cette volonté de retrait sans manichéisme ni angélisme, et en fait ressentir aussi bien les dimensions exaltantes que les limites. Leave no trace met en lumière l’Amérique des marges, peuplée de laissés-pour-compte ou d’oubliés volontaires adeptes de la décroissance et qui, comme ce père et sa fille, préfèrent ne pas laisser de trace.