Tod Browning disait à propos de son film Freaks : « Ce n’est pas à nous d’intégrer les monstres, c’est à eux de nous tolérer. » C’est l’un des thèmes de cet étrange film réalisé par un jeune cinéaste iranien de 22 ans, immigré en Suède. Dans une veine de réalisme fantastique, Border explore les zones d’ombre de ce  » modèle  » suédois tant vanté.
Tina, une femme au physique ingrat, qui travaille au service des douanes de l’aéroport de Stockholm, possède un don quasi surnaturel : elle peut repérer n’importe quel contrevenant grâce à son odorat extraordinairement développé. Rien qu’en retroussant ses narines, elle peut découvrir non seulement alcool ou drogue, mais plus surprenant encore, les vices de certains passagers. Sa redoutable efficacité conjuguée à sa laideur, en font un être à part, une créature tolérée par ses collègues qui ont besoin de ses talents, mais qui se gardent bien de tout rapprochement.
Elle-même vit en marge de la société et ne cherche aucun contact, jusqu’au jour où s’avance, devant le poste de douane, un être qui lui ressemble étrangement. Elle le reconnaît immédiatement, et pourtant ils ne sont pas de la même famille, ils sont de la même espèce, ce sont des  » Trolls « . Vore, personnage troublant s’il en est, va entraîner Tina à la découverte de ses origines et lui révéler la puissance de la sexualité.  » Border « , la frontière, est celle où évoluent Tina et Vore, mais aussi celle séparant le monde  » civilisé  » de ses origines et de ses mythes.
Le réalisateur inscrit le fantastique dans le quotidien pour mieux explorer la dimension surnaturelle des protagonistes. C’est l’occasion pour lui d’évoquer en images féeriques et magnifiques la grandeur passée des Trolls, évoluant librement dans leur milieu naturel, les forêts, et dont le film laisse transparaître la persécution voire l’ethnocide… Une question se pose : face à la dureté d’un monde qui rejette l’autre parce qu’il est différent, comment ne pas prendre fait et cause pour le monstre ou celui désigné comme tel ?

Sources : Cahiers du Cinéma, Positif janvier 2019, Télérama 19 janvier 2019.